Il faut enlever l’objectivation du doute. Le doute, c’est le non-savoir. Ce n’est pas un doute qui projette un non-doute. Le doute doit être un vrai doute. Il ne doit plus douter d’objets, il doit douter de lui-même. Quand il quitte sa caractéristique du doute, il reste une disponibilité.
Le doute, c’est déjà l’énergie qui a cessé d’être excentrique, qui ne s’en va plus. Elle est encore orientée vers quelque chose. Vous doutez, négligez ce dont vous doutez ; restez avec le doute ; quelque chose va exploser… Tout ce dont vous pouvez douter, il faut en douter, il y a de bonnes raisons à cela. On doute du monde objectif : il faut en douter. À un moment donné, vient ce dont on ne peut plus douter. Cela : vivez-le.

Éric Baret, De l’Abandon, p. 163

La perplexité sentie au premier confinement ne s’est pas vraiment atténuée depuis un an. Les certitudes, les habitudes de penser et les croyances en cette société sont ébranlées, il est difficile de savoir quoi en penser, il est difficile de comprendre vers où se dirige cette civilisation, doit-elle se préparer à faire face à des pandémies en série à cause de la déforestation et de la mixité obligée des espèces ? Est-ce que le confinement va devenir chronique ?
Par ailleurs les dirigeants ne semblent pas prêts à faire face à ces défis… Les contradictions répétées ont montré que même si certaines instances internationales avaient prévenu de l’éminence de cette possibilité, personne n’avait vraiment pris ça au sérieux.


Les pollutions de la terre, de l’air, de l’eau, le réchauffement climatique, la perte de la diversité écologique, sonnaient déjà l’alarme… Il était patent qu’il serait indispensable de changer de mode de production, d’arrêter d’extraire des matières premières, d’arrêter de recouvrir la terre avec nos déchets mais, même si le message devenait de plus en plus pressant, les mécanismes de la société et de nos psychismes ne permettaient pas des actions assez fermes, assez rapides. Et la lenteur de cette prise de conscience du plus grand nombre rendait les enjeux terriblement menaçants.

Chacun se croyait individuellement impuissant… Malgré la bonne volonté et toutes sortes de petites actions écologiques, il semblait que c’était la faute de puissances industrielles, de puissances financières internationales hors d’atteinte…
Alors le virus a montré qu’il suffisait de ne plus consommer pour que ça… ralentisse !
Mais après la première vague de confinement, ne plus avoir à se poser de question, reprendre les choses comme avant, était tentant !

Maintenant le virus mute et la pandémie se prolonge… des questions incontournables s’imposent !

Les observateurs de la géopolitique mondiale suggèrent qu’il y aurait toujours un clivage entre deux forces (gauche/droite) mais que ces deux forces ne défendraient plus les mêmes propositions de société…
Il y aurait :
— D’un côté, des mondialistes qui prôneraient un système de contrôle mondial (donc autoritaire) issu de technologies de pointe. Ces technologies se dirigent (déjà) vers des améliorations qui risquent peu à peu de transformer l’humanité en un mélange humain/intelligence artificielle, le transhumanisme. Et cela aussi rapidement que les téléphones portables sont arrivés dans nos poches, afin de gérer une éventuelle catastrophe écologique sans avoir à attendre que tous, ou assez, soient conscients et agissent.
— D’un autre, des souverainistes qui en général défendent le libre commerce, la liberté à chacun de faire ce qu’il veut, l’indépendance économique de chaque pays. Mais, pour faire face à la compétition internationale, ce “chacun pour soi” a occulté la prédation sans contrainte que la terre a dû subir.

Toutes sortes de mélanges sont possibles et c’est toujours un peu simpliste de présenter les choses de manière aussi rapide. Mais ce qu’on observe c’est que dans ces deux propositions, le marché est roi.
Et, à bien y regarder, est-ce que c’est vraiment attrayant ?
Est-ce que quelque chose cloche ?

Ici, le sujet, c’est le yoga, depuis l’antiquité cet enseignement dit que la seule façon de savoir vraiment ce qui cloche individuellement est de se tourner vers soi-même et d’observer ses propres fonctionnements.
Ses manières de faire… ses émotions… ses pensées… ses envies…
Sans juger, juste voir…
Mettre au clair l’élan qui habite chacun…
Qu’est-ce qui est vraiment attirant ?
Qu’est-ce qui mobilise l’énergie ?
À partir de quels conditionnements le monde se crée-t-il d’instant en instant ?


Se poser pour “réfléchir” (observer son propre reflet comme le langage le dit justement).

Nous avons remarqué dans les cours et stages que quand on se pose assis, longtemps, des pensées assaillent constamment, elles tournent en boucle dans le mental…
Quelles que soient les informations emmagasinées, celles-ci pédalent en rond dans la cage de hamster du cerveau et même combinées, elles ne semblent pas équipées pour résoudre l’énigme complexe qui se présente.
Toutes les hypothèses malaxées encore et encore ne font émerger que des solutions (comme celles de nos dirigeants ou de certains scientifiques) qui ne sont pas assez innovantes, pas assez libres, elles n’amènent rien qui puisse véritablement mettre à distance ces échéances alarmantes.
Sinon le cap aurait suffisamment changé et on serait tous enthousiasmés par ce qui vient !
Peut-être alors que toute cette masse de concepts, de pensées, de calculs fait partie du problème !
Qu’est-ce qui se passe ?
Est-ce qu’il manque quelque chose ?

Depuis très longtemps ce “manque” a posé question. On a donné aux forces de la nature des intentions et on les a divinisées… pour combler ce manque… des religions se sont organisées en suggérant de croire à des forces supérieures, des dieux ou un Dieu, des êtres divinisés…
Puis la science a suggéré que nous étions juste de la matière en évolution… qu’il fallait contrôler la matière, se donner les moyens de fabriquer toujours plus de choses matérielles pour apaiser ce manque…
Nous en sommes là !

Et ces réponses se situent toutes hors de soi…

Seules quelques personnes isolées au sein des différentes traditions ont répondu : le mystère de ce qui manque est au cœur de l’Être. On a nommé ces gens des mystiques.


Il est utile de réaliser à quel point “ce qui manque” a sécrété cette civilisation du “toujours plus”. Parce que quelque chose manque on veut toujours plus de confort, d’objets ou de connaissances accumulées dans le mental ! Mais aussi toujours plus d’expériences, de spiritualités diverses… de distractions !
Toujours plus de tout !

Le yoga a été fondé et entretenu au fil des millénaires par certains de ces mystiques.
Leur postulat est que ce mental a plusieurs niveaux et que ce qui semble traduire la réalité en chacun, la cage dans laquelle la conscience tourne en rond, n’est qu’une petite partie de l’Être. L’autre partie de l’Être, auquel le mental n’a pas accès, manque cruellement tant qu’elle n’est pas révélée à la conscience. Tant que la personne reste obnubilée par les jeux de son mental, elle est en manque !
Un vrai manque, un manque radical !
Les textes traditionnels de toutes traditions, les grandes épopées, les contes, ont suggéré que tant qu’une brèche n’a pas été creusée vers cet ailleurs pour respirer l’air frais et dynamisant qui en sort, l’être se sent piégé, contraint par l’avidité due au manque, asphyxié par ses propres créations mentales dont l’entropie le terrorise… Des épreuves sans fin semblent l’assaillir…
Ces épreuves seraient-elles là pour le réveiller et l’aider à lâcher prise ?
Peut-on en déduire que toutes les épreuves qui se présentent individuellement ou collectivement seraient des aides pour qu’on se réveille ? Qu’on s’ouvre à cette autre part de soi ?

Mais comment contacter cette part de l’être puisque si on y pense… on reste prisonniers ?

Les Traditions ont suggéré des chemins, ont laissé des îlots de tranquillité ici ou là… Parmi ces traditions le yoga tantrique du Cachemire propose une pédagogie simple qui a été actualisée par l’expérience vécue de Jean Klein.
Dans un premier temps, il s’agit simplement de sentir…
Et non, comme on le croit souvent, de faire des exercices pour s’étirer, se renforcer, être plus souple et à force d’efforts de noyer le mental…
Sinon tous les sportifs seraient des sages !
Non, il s’agit juste de sentir, là, tout de suite, tel quel… laisser apparaître ce qui surgit dans le corps, dans les émotions, laisser la perception de soi-même et de ce qui est autour devenir l’immédiate exigence…
Et puis explorer… qu’est-ce qu’on sent quand on ne fait rien, assis, debout, sur une jambe, à quatre pattes, sur la tête, qu’est-ce qu’on sent quand le souffle s’accélère, s’arrête, passe par une narine…
Qu’est-ce que je perçois vraiment ?
Et qu’est-ce qui se passe quand je suis totalement absorbé dans ma perception ?
À force de pratiquer, à force de sentir, petit à petit, stratégiquement, minutieusement, le corps se vide… et le mental avec…

Et dans cette vacuité ce qui était omniprésent, les pensées, les réactions émotionnelles, corporelles, glissent à l’arrière-plan. Elles sont toujours là, mais elles n’occupent plus toute la place et la Conscience s’ouvre à elle-même. On perçoit un espace… une dimension inexplorée se présente.

On s’aperçoit alors avec étonnement qu’elle a toujours été là. Qu’elle ne nous avait pas quittés mais qu’elle était recouverte par le bruit des pensées, le brouhaha des émotions et qu’on ne l’apercevait que dans de minuscules bribes de temps, des interstices spatiotemporels.
Par exemple : en regardant le soleil se lever, en se laissant absorber par le vol d’un couple de buses ou le cheminement d’un nuage dans le ciel, en écoutant le chant des oiseaux à l’aurore, une belle musique, en appréciant une œuvre d’art… une seconde… dix minutes… trois heures, le temps disparaît… une présence intense, une vacuité, un silence et cet émerveillement délicieux !
N’a-t-on pas tous vécu ça ?
Chaque fois que cette dimension est révélée, même faiblement, on est émerveillés, comblés, rien ne manque !
Dire qu’un monde pathogène, psychopathe, destructeur s’est construit pour simuler misérablement le plaisir incomparable qui s’offre dès qu’on se laisse immerger dans l’espace pur de la Conscience…

Dire que cet espace est toujours là, disponible !

Voilà les prémisses de la “béatitude” — ânanda — dont parlent les textes !

Donc, si fabriquer ce monde de manque est une impasse, n’est-il pas impérieux de laisser surgir puissamment cette autre dimension “en soi” qui n’est ni ailleurs, ni plus tard, mais qui sourd de notre Présence attentive à ce qui est ?

N’est-il pas impérieux de laisser grandir cet espace, de le laisser fleurir avec ce printemps qui arrive et, imprégnés de Conscience, de laisser des solutions inédites parce que non mentales, se présenter et se matérialiser ? 
La Conscience peut nous guider et nous aider à trouver ensemble des solutions élégantes et efficaces.
Elles existent déjà, certains y font déjà référence et agissent.

Des solutions joyeuses, innovantes et harmonieuses émergent quand l’essentiel est discerné, quand l’emprise du mental est relâchée puis abandonnée et que l’intuition nous guide au cœur de l’émerveillement continuel.

L’impensable magie du monde est toujours là, active… tout est disponible, tout est vivant et dynamique… dès qu’on se laisse absorber dans le silence spacieux de la Conscience !

Que ce printemps nous porte collectivement vers l’essentiel !

Kate

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